Territoires utopiques ou les géographies du rêve
Dans son acception
première, la notion d’utopie telle que l’a inventée Thomas More au
XVIème siècle désigne un lieu inexistant, à la fois lieu de nulle part
et lieu de bonheur. C’est donc l’imaginaire qui dessine les contours de
cet espace fantasmé, de ce monde meilleur qui tend à régénérer les
fondements de la société dont il veut s’éloigner. De quelque ordre
quelle soit, sociale, culturelle, ou religieuse, l’utopie repose en
effet toujours sur une critique motivée des mœurs et usages en présence
et suscite une prospective sans bornes. L’utopie se veut alors le
contrepoint lumineux d’une époque donnée, et pour exemple premier, la
satire de l’Angleterre de son temps que livre Thomas More dans son récit
Utopia. Réinventer le présent pour un avenir plus vivable, tel est
certainement le dessein de toute utopie. Mais si l’utopie se rêve dans
l’avenir, Victor Hugo parlait à son sujet de « vérité de demain », cette
notion est surtout terrestre par vocation. Loin du mythe du paradis
perdu ou d’un au-delà idéal, elle est avant tout la perspective d’un
autre ici-bas et dans son aspect le plus concret, elle correspond au
choix d’un lieu. Si l’Utopia de More était une île, combien de déserts,
de montagnes inaccessibles, de régions isolées ont été les décors
d’idéaux utopistes, qu’il s’agisse de récits ou de tentatives concrètes
d’une vie commune meilleure ainsi, La Cité du Soleil de Tommaso
Campanella, ville fortifiée retirée au sein d'une grande île ou la cité
d’Arcosanti, fondée en plein désert d’Arizona par l’architecte italien
Paolo Soleri. Ce lieu de bonheur se construit donc à l’abri des menaces
du dehors, loin des maux de l’humanité concentrés dans les villes
classiques et généralement dans une quête d’autonomie. Comme le progrès,
la conquête technologique et la domination de la nature ont pu être des
formes d’utopie, faisant triompher l’esprit et la modernité, des
utopies du doute et du renoncement ont vu le jour prônant à l’opposé, un
rapprochement avec la nature. L’utopie invente alors une nouvelle
géographie, dessinant les cartes de territoires hybrides. L’architecture
en donne certainement les meilleures applications. Pour preuve, entre
autres exemples, la cité linéaire imaginée par l’architecte Arturo Soria
y Mata à Madrid qui avait pour ambition de « ruraliser la ville et
urbaniser la campagne » ou encore les cités-jardins de Ebenezer Howard
qui conjuguent les avantages de la ville à la campagne.
Avec le projet Territoires
Utopiques, c’est donc en toute logique que la notion d’utopie se trouve
confrontée à celle de territoire, à l’idée d’un périmètre donné qu’il
soit urbain ou naturel. L’art croise la géographie dans cette
proposition qui se veut une relecture par des artistes contemporains et à
travers le prisme de l’utopie, de lieux choisis dans la communauté de
communes du pays de Lourdes et deux précisément antagonistes : le bois
d’Adé et le château de Soum. Deux lieux que tout oppose : l’un offre un
point de vue surplombant la ville de Lourdes et un panorama sur la
chaîne des Pyrénées quand le second, situé au cœur de la ville, ancien
tribunal désaffecté, est posé au pied du Pibeste.
Deux espaces comme deux
îlots, repensés par des artistes pour en dévoiler une vision utopique
et faire naître de nouveaux territoires, hybridant tout à la fois réel
et virtuel, naturel et construit, passé et futur. Territoires Utopiques
dessine ainsi les cartes d’une géographie fantasmée, écrit les lois
d’une république idéale. En croisant les disciplines (dessin, vidéo,
installation…), cette proposition d’une forme nouvelle aboutira à une
expérience artistique que les spectateurs seront amenés à vivre en
commun, une invitation au voyage d’un lieu existant à un non-lieu
fantasmé… le temps d’un mirage floutant réalité et fiction.
Catherine B.